“Compilation Works 1996-2005” reviewed by Scala Tympani

Compilation Works 1996-2005
Musicien électronique expérimental, concepteur d’installations, photographe, vidéaste, créateur d’objets, Marc Behrens est un artiste complet. En réunissant ces 19 titres auparavant disséminés sur autant de compilations, le label portugais Crónica permet de retracer pour la première fois une bonne partie de son parcours sonore.

Imperceptiblement ou presque, depuis une quinzaine d’années, s’amoncelle un corpus de pièces électroacoustiques ciselées que l’on doit à Marc Behrens. De ses débuts chez trente oiseaux (1995) à son mandat de co-directeur du label Sirr (2003-2007), il n’a cessé d’être aux avant-postes de l’exploration sonore sans pour autant que son travail semble excessivement documenté sur disque. A y regarder de plus près, une quantité non négligeable de son œuvre se retrouve dispersée ici où là, sur des compilations éditées par une variété de labels qui, collectivement, permettent de cerner une esthétique entre conceptualisme électronique (Mille Plateaux, Raster-Noton…) et intransigeance bruitiste (Banned Productions, Bottrop-Boy…).

D’une cohérence remarquable malgré la décennie qui sépare les pièces les plus anciennes des plus récentes, ce florilège débute par l’énigmatique « ccdeinnorsttu », dédié à la multinationale Coca-Cola (si, si !) et dont le titre sibyllin invite à chercher les possibles anagrammes. Difficile de savoir si ce sont les lettres de « occident runts », « conscient turd » ou encore « doctrine cunts » qui sont ici mélangées mais, dans tous les cas, le rapport avec le leader mondial de la boisson gazéifiée reste des plus obscurs. Dissection d’événements microscopiques et jeu sur les matières (du glitch ultra-corrosif jusqu’au souffle à peine audible de machines rendant l’âme) constituent le cœur de cette composition, comme de la plupart des autres de ce recueil. Ce qui frappe chez Behrens c’est cette approche presque chirurgicale du son, faite d’auscultations patientes et de mouvements infimes, qui redonne vie miraculeusement à des éléments proches de la désintégration.

L’électronique est envisagée à travers le prisme de la musique concrète et, à l’occasion, sont incorporées des prises de son extérieures : échos de piano (« Untitled (for Lida) »), bruits de respiration, mastication et déglutition (« that which is the »), atmosphère de lieux publics à Lisbonne, en 2003, à l’annonce de la guerre d’Irak (« Sketch for Bagdad é em Lisboa ») ou crépitement des flammes sur un morceau librement inspiré par le Gesang der Jünglinge de Stockhausen. On perçoit aussi l’utilisation de micros contact et on devine des dispositifs manifestement moins identifiables. A chaque fraction de seconde, le son est extrêmement clair, les ondes sinusoïdales transparentes, les infrabasses massives, fréquences acérées ou vapeurs boréales, le presque rien a ici une énorme présence. Imaginez la rencontre entre Pierre Schaeffer et Aphex Twin et vous ne serez pas si loin du compte. Le relativement daté « Revelation » constitue peut être la seule exception à la règle mais il faut sans doute le considérer comme une oeuvre de jeunesse (1993) même si elle fut retravaillée quelques années plus tard.

On notera également que certains titres sont des réinterprétations (façon de parler) ou des hommages à des artistes aussi divers que TV Pow, Disinformation, John Hudak, Ilios (à qui est dédié le titre « For Dimitris » : presque un souffle émotionnel au milieu du rigorisme général) ou encore Ralf Wehowsky. Du beau monde qui n’a pas hésité à se laisser revisiter par Behrens. L’ensemble s’achève par un clin d’œil initialement publié sur la compilation State Of The Union (Electronic Music Foundation) : le fantastiquement nommé « Real Player Fucked My Netscape Settings » qui vous transportera directement vers la fin des années 1990 avant de dérailler complètement ! Jean-Claude Gevrey

via Scala Tympani

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