“Le vent s’est levé… C’était d’abord comme la voix d’un espace vide… L’espace soufflant à l’interieur d’un trou, une faille dans le silence de l’air. Puis est monté un sanglt, un sanglt du bout du mone, et l’on s’est aperçu que les vitres tremblaient et qu’en réalité c’était le vent. Puis cela a résonné plus loin, un hurlement sourd, des pleurs dépourvus d’être face à la nuit grandissante, un grincement de choses diverses, une chute de petits morceaux, un atome de fin de monde.” Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquillité — Christian Bourgeois. Il était difficile de résister à la tentation de citer Pessoa (ou plutôt Bernardo Soares, son hétéronyme) pour introduire cet album. En dehors de cetter citation, bien d’autres passages du Livre de l’intranquillité auraient pu convenir pour illustrer la mani`re dont Simon Whetham a travaillé ces sons de Lisbonne enregistrés en 2010.
L’eruption du volcan islandais avait contraint l’artiste à prolonger son séjour dans la capitale portugaise. Pour peu que l’on sache en tirer parti, ces moments d’entre-deux faits d’incertitude, d’attente solitaire et de désouvrement peuvent s’avérer particulièrement féconds: ce disque en est un parfait exemple. Simon Whetham s’est mis à arpenter la ville et ses environs, à les ausculter avec sa collection de microphones (micro canon, micros de contact, hydrophones…). Bruits souterrains, métalliques, aquatiques (certainement le Tage), ruissellements, chants d’oiseaux, souffles, carillons… quelques voix humaines aussi, toujours lointaines, toujours perçues à travers le filtre de la solitude; et par-dessus tout cette “voix des espaces vides”, à l’image de la belle photographie de couverture d’Hugo Olim. Les titres des 7 morceaux qui composent l’album (près de 80 minutes en tout) sont évocateurs. Ils traduisent les différentes dispositions d’esprit de l’artiste à mesure que le temps passe. Le vague à l’âme d’un preneur de sons seul et silencieux qui traverse la ville comme un spectre… se disant que les sons qu’il recueille n’auront au moins pas disparu sans laisser de traces. Simon Whetham le dit lui-même: revisiter ces instant révolus pour en faire une composition était à la fois une épreuve, et un soulagement. Tout cela fait de Never so Alone uns expérience d’écoute particulièrement belle et intense.
Yann Leblanc